Le déliement

Le Bouddha avait beaucoup de noms pour la libération totale, afin de montrer comment celle-ci a résolu beaucoup de problèmes inhérents à l’errance. Celui qu’il utilisa le plus fréquemment est nibbāna, qui signifie littéralement « déliement ». Dans le langage courant, le mot Pāli nibbāna décrit l’extinction d’un feu. A l’époque du Bouddha, on pensait que le feu était causé par l’agitation de la propriété « feu », un potentiel existant dans un état latent partout dans le monde physique. Lorsqu’elle était agitée, cette propriété s’enflammait et s’agrippait alors à son carburant; raison pour laquelle un feu restait allumé. Celui-ci s’éteignait quand il lâchait prise de son carburant, et la propriété « feu » – libérée – retournait alors dans son état originel non agité.

Le Bouddha utilisa l’analogie entre le feu libéré et l’esprit libéré pour décrire plusieurs aspects de la libération totale :

• C’est un état de calme et de paix rafraîchissant.

• Cela vient du lâcher-prise de l’agrippement. De la même manière qu’un feu allumé n’est pas pris au piège par le carburant, mais par son propre agrippement à celui-ci, l’esprit n’est pas pris au piège par les agrégats eux-mêmes, mais par son agrippement aux agrégats d’expérience. C’est pourquoi, lorsqu’il lâche prise, ceux-ci ne peuvent l’empêcher d’atteindre la libération.

• Un feu, quand il s’est éteint, on ne peut pas dire s’il s’en est allé vers l’Est, l’Ouest, le Nord ou le Sud. De la même manière, une personne totalement libérée ne peut être décrite comme existante, non-existante, les deux ou aucun des deux. En effet, dans le contexte du devenir, vous vous définissez par les désirs auxquels vous vous agrippez. L’esprit libéré étant dénué d’agrippement, il ne peut pas être défini, ou décrit. Et puisque le monde de tout devenir est défini par les désirs auxquels vous vous agrippez, un esprit libéré ne peut être localisé dans aucun monde.

Cependant, l’analogie entre un feu libéré et un esprit libéré n’est pas parfaite. A la différence du feu, un esprit libéré ne retourne pas à un état latent préexistant, et il ne peut plus jamais être provoqué pour quitter son état libéré. Nibbāna existe totalement séparé du saṁsāra : hors de l’espace et du temps, du processus du devenir, et des mondes des six sens. Ce n’est pas causé par quoique ce soit et n’agit pas comme une cause de quoique ce soit. C’est pourquoi cela met fin à toute souffrance.

Beaucoup des termes du Bouddha pour décrire nibbāna disent ce que ce n’est pas, pour montrer que ce n’est pas comparable à quelque chose des six sens. Par exemple, il l’appela une dimension sans faim, sans attachement, sans souillures et sans affliction. Il décrivit cependant ce que c’est de quatre manières :

• C’est une vérité qui ne change pas.

• C’est une liberté totale.

• C’est le bonheur ultime, bien que ce bonheur ne soit pas une sensation plaisante au sein des agrégats. C’est en fait un plaisir qui est totalement inconditionné et ne dépend pas des six sens.

• C’est un type de conscience, bien qu’encore une fois ce ne soit pas au sein des agrégats de la conscience, et ne dépend pas des sens. Le terme employé par le Bouddha est « conscience sans surface ». L’image est celle d’un rayon de lumière qui ne bute contre rien : même si c’est lumineux en soi, cela n’apparaît nulle part.

Une personne ayant atteint nibbāna dans cette vie continue d’expérimenter le plaisir et la douleur par les sens, mais son esprit est, une fois pour toutes, libéré de la passion, de l’aversion et de l’illusion. Au moment de la mort, toutes les expériences des mondes des six sens « se refroidissent », et nibbāna est total. Une fois encore, les textes nous donnent une image : nibbāna dans cette vie est comme un foyer dont le feu s’est éteint mais les braises sont encore chaudes. Après cette vie, c’est comparable à un foyer dont même les braises ont refroidi.

Le Bouddha réalisa que nibbāna pourrait avoir l’air déplaisant ou même effrayant aux personnes encore dépendantes des sensations. Il assura cependant à ses auditeurs que la conscience et le bonheur du déliement sont en fait le plus grand bonheur possible, la plus grande sécurité contre la faim, et ne contient pas la moindre trace de regret ou de nostalgie pour ce qui a été abandonné en chemin.